Une
vie consacrée à aider : un portrait du métier d'ambulancier
Quand Alain Jordan accepte de nous rencontrer pour cette interview, le rendez-vous est assorti d’un astérisque : «Si on nous appelle pour un transport sanitaire, je vais devoir annuler…». En effet, Alain travaille pour TCS Swiss Ambulance Rescue Genève. Ambulancier de métier, il parcourt la Suisse et l’Europe dans un rayon de dix heures de route autour de Vernier, où il est basé. Rencontre avec un collègue pour qui la santé est indissociable du contact humain.
«Être en vie, c’est être en mouvement & c’est être lié, tissé au ventre & lié aux autres». Alain Damasio, La Horde du Contrevent
Alain nous reçoit sur la base de TCS Ambulance, à Vernier, dans un décor très zen pour un secteur d’activité qui l’est moins. «Ici, c’est le lieu où nous préparons les missions et où nous décompressons après des interventions difficiles». Cheveux poivre et sel et sourire franc, Alain n’en est pas à son premier rodéo : à 53 ans dont 25 ans d’expérience d’ambulancier sur Vaud et Genève, il fait même office de vétéran.
Il connaît d’ailleurs la plupart des ambulanciers en activité, de la cité de Calvin jusqu’aux portes du Valais. «Il nous arrive régulièrement de nous retrouver autour d’un verre en dehors de nos shifts. C’est une grande famille : nous sommes liés par un amour de la profession et des expériences de vie fortes.»
Dans sa carrière, il en a connu beaucoup : des plus belles (accouchements inopinés) aux plus tragiques, celles qui nécessitent la mise en place de cellules «Debriefing & Defusing» et de soutien psychologique, pour aider les ambulanciers à gérer leurs émotions post-intervention.
De l’urgence à l’assistance
En 2023, quand TCS Ambulance lui offre l’opportunité de passer du secours d’urgence à l’assistance, il n’hésite pas. Quelle différence entre les deux ? «Le secours d’urgence est un métier de l’instantané : l’ambulancier doit arriver très rapidement sur site et pratiquer les gestes adéquats pour assurer les fonctions vitales du patient, tout en gardant lui-même la tête froide.
C’est un métier qui use physiquement et émotionnellement. D’ailleurs les carrières sont courtes : 10 ans en moyenne. L’assistance a un autre tempo : avec TCS Ambulance, nous effectuons des rapatriements, donc des transferts programmés. Quand nous prenons la route au volant de l’ambulance, nous allons chercher une personne certes accidentée ou malade, mais dont l’état est stabilisé, grâce aux soins qui auront été prodigués dans les différents hôpitaux avant notre arrivée.»
Le sauvetage et l’aide d’urgence se ressemblent néanmoins beaucoup : les compétences médicales, la diversité des situations et lieux d’intervention, tout comme le travail en équipe sont, autant de points communs. Mais le trait d’union fondamental entre secours d’urgence et assistance, c’est le contact humain. «Les jeunes recrues pensent que le métier d’ambulancier consiste surtout à connaître les gestes techniques. Or, 80% de notre activité relève du social : il faut aimer les gens, écouter leurs craintes, les rassurer.
Pour un patient, cela peut être très déstabilisant d’être pris en charge dans un système préhospitalier et hospitalier qu’il ne connaît pas, souvent dans une langue qu’il ne maîtrise pas. Selon les pays, les standards diffèrent de ceux que nous connaissons en Suisse, en matière de gestion de la douleur par exemple. Nous avons même vu des hôpitaux où le fait de servir un repas aux patients ne faisait pas partie des prestations de base. Alors quand nous arrivons et leur disons «ne vous inquiétez pas», nous leur apportons un petit bout de Suisse et un réel réconfort.»
Du job d'étudiant à la profession
Dans le secteur de la santé, le mythe de la vocation à la vie dure. Or, pour Alain, le métier d’ambulancier était initialement un moyen plutôt qu’une fin. Son premier tour de roue, il l’effectue à 21 ans comme simple chauffeur d’ambulance, pour financer ses études de technicien audiovisuel. Il exerce ensuite quelques années en tant que régisseur de salle de congrès, mais sans passion.
Le déclic a lieu en 1999, une fois devenu père : il entame alors des études d’ambulancier, d’abord en France, puis en Suisse dès 2001. «Je n’ai pas eu une réelle vocation, en revanche, j’ai des prédispositions : l’envie de prendre soin des autres. Je ne voulais pas rester enfermé».
Objectif atteint : aujourd’hui, Alain se déplace partout en Suisse et en Europe dans un rayon de 10 heures de route autour de Vernier. «Au-delà, le rapatriement s’effectue en avion». Dans le salon de la base TCS Ambulance, une carte de l’Europe est accrochée au mur, hérissée d’épingles, chacune indiquant la destination vers laquelle les membres de l’équipe sont partis en mission.
Après la mission, il faut faire preuve
d’empathie
Comment se déroule un rapatriement typique ? «Un patient qui dispose d’un Livret ETI aura pris contact avec la centrale d’appels de l’Assistance. Les médecins du TCS nous mandatent ensuite pour faire le rapatriement. Nous recevons par avance des informations sur l’état du patient.
En principe, l’équipe qui monte à bord de l’ambulance se compose de deux personnes : un chauffeur ambulancier avec une formation de samaritain, assisté d’une personne plus expérimentée, comme un technicien ambulancier ou un ambulancier. Il n’est pas rare qu’un médecin et une infirmière se joignent à nous, si des soins spécifiques sont requis, comme pour les patients qui ont subi une trachéotomie par exemple.
Une fois le patient pris en charge, nous le rapatrions dans un hôpital proche de son domicile. Nous intervenons en partenariat avec d’autres organisations comme la Rega, en allant par exemple chercher à l’aéroport de Genève un patient polytraumatisé, qui aura été rapatrié en avion sanitaire.
Même si l’état du patient est censé être stable, nous ne sommes jamais à l’abri d’une dégradation. Nous devons donc parfois changer de script en cours de route : en remontant de Rome avec un patient atteint d’une grosse cardiopathie, il faut savoir se dérouter et faire un stop à l’hôpital de Gênes, par exemple. Ce qu’il faut savoir, c’est que dans le cadre de l’assistance, nous ne pouvons pas utiliser le gyrophare, à moins qu’il existe un risque vital pour le patient et uniquement pour se rendre à l’hôpital le plus proche. Autrement, nous pourrions perdre notre permis de conduire, voire d’exercer !»