Rares sont celles qui osent aborder ouvertement ce tabou et demander de l’aide. Touring a rencontré deux femmes sujettes à la peur de conduire. Elles parlent de la manière dont elles ont su la surmonter grâce à un soutien psychologique.
Carmen Fidalgo n’est pas une anxieuse de nature. Pendant plus de vingt ans, elle a conduit sa voiture sans aucun souci, jusqu’au jour où une crise de panique est venue ébranler son assurance au volant. «Un véritable coup de massue. J’ai été subitement victime de tachycardie, de transpiration et de tremblements. J’ai cru que j’allais m’évanouir, et ceci au beau milieu de l’autoroute», raconte cette Zurichoise. Le choc est si profond qu’à partir de ce jour-là, elle a renoncé à conduire sur l’autoroute. Elle a bien tenté de recommencer, mais ce sentiment d’oppression est réapparu.
Pourtant, hors des autoroutes, elle n’a aucun problème au volant. En ville, à la campagne, elle conduit avec assurance, routine, et éprouve même du plaisir à le faire. Lors de longs trajets, elle emprunte les transports en commun ou devient une simple passagère. Elle maîtrise alors sa peur, sans trop de restrictions. Cependant, après quelques années, le moment est venu où sa stratégie d’évitement n’a plus fonctionné. Et lorsque sa mère a eu un accident, elle s’est rendu compte qu’elle ne pouvait plus prendre illico sa voiture afin de lui venir en aide. «Je me suis soudain sentie impuissante. Ce sentiment s’est progressivement renforcé et j’ai compris que l’évitement ne constituait pas la panacée à long terme.» Elle tente donc de dénicher de l’aide sur internet et trouve finalement son bonheur sur le site web fahrangst.ch. Contact est alors pris avec l’exploitante du site, Renate Siegenthaler.
Dès le premier entretien, Carmen se rend compte qu’elle est en de bonnes mains auprès de cette psychologue, monitrice d’auto-école et ancienne conductrice de poids lourds. «Elle savait exactement de quoi je parlais et je me suis tout de suite sentie à l’aise.» En effet, Renate Siegenthaler aide depuis 2007 les personnes sujettes à l’angoisse du volant à se remettre sur de bons rails. Elle connaît parfaitement le problème de Carmen: «Une crise de panique est l’une des causes les plus fréquentes de l’amaxophobie, un mal qui touche principalement les personnes soumises à un stress important. La surcharge accumulée peut se déclencher comme une réaction physiologique au stress, et vous perdez alors le contrôle de votre corps», explique-t-elle. Si cela se produit durant la conduite, la peur que la perte de contrôle se reproduise ensuite peut en résulter. Sur l’autoroute, cela peut avoir de graves conséquences. «La spirale des pensées négatives se met alors à tournoyer. Et comme notre attention est moins sollicitée sur les autoroutes que dans la circulation urbaine par exemple, nous nous concentrons ainsi sur les symptômes physiques, ce qui renforce notre état d’anxiété. Et au final, la personne qui en est victime va systématiquement éviter les autoroutes», ajoute-t-elle encore.
Certaines personnes s’en sortent très bien et trouvent des alternatives acceptables, tels les transports publics, pour satisfaire leurs besoins en mobilité. Cela ne devient un réel problème qu’au moment où l’on commence à en souffrir et que
l’on ne peut gérer son quotidien qu’au prix de restrictions et de compromis. «C’est alors que nous parlons d’un trouble psychique lié à la peur de conduire ou amaxophobie», résume Renate Siegenthaler. D’une manière générale, les anxiétés sont très répandues parmi les gens et elles se développent dans tous les domaines de l’existence. Des études épidémiologiques montrent qu’une proportion entre 10 et 14% de la population souffre d’un problème d’anxiété nécessitant un traitement approprié.
Constatant finalement qu’un traitement existait, Carmen Fidalgo s’est mise à le suivre. En prenant, toutes les deux semaines, des leçons de conduite auprès de Renate Siegenthaler. En ville tout d’abord, puis, au cours de la deuxième heure, elle prend le chemin tant redouté de l’autoroute. Et là, ce sentiment d’impuissance l’envahit à nouveau. Elle se raidit, éprouve du mal à écouter, à voir, et son cœur s’emballe. Elle quitte l’autoroute au plus vite et peine à se calmer. Mais pas question d’abandonner. Dès la leçon suivante, les deux femmes procèdent à un nouvel essai et, malgré la peur qui se manifeste cette fois encore, tout va déjà mieux. La monitrice ne lui a guère transmis d’instructions mais, grâce à sa forte personnalité et à sa sérénité, elle lui a redonné confiance en elle au volant. Au fil des leçons, Carmen reprend de l’assurance, son sentiment d’impuissance s’estompe. Et puis, un jour, c’est le déclic, tout va mieux et la peur se transforme en joie: «Nous étions sur l’autoroute, c’était la sixième leçon, et je ne m’en suis pas rendu compte de suite, mais je conduisais complètement détendue», dit-elle en décrivant sa métamorphose.
Carmen a pris neuf leçons de conduite au total, se sentant mieux, sans être cependant «guérie». Au contraire, comme le précise sa coach: «La peur de conduire ne disparaît pas d’un coup de baguette magique. C’est un long et laborieux processus, qui se poursuit après mon intervention. Il faut persévérer, s’exercer régulièrement et de manière autonome. On n’apprend à conduire qu’en conduisant, et la peur de la conduite ne peut être résolue qu’en s’y confrontant.» Carmen Fidalgo a affronté ce processus et emprunte désormais régulièrement l’autoroute sans aucune crainte. «Je ressens encore un peu de stress lorsque je dépasse, mais je n’ai plus de peur panique. Cet été, j’ai même pris l’autoroute en Italie. Je n’aurais jamais cru cela possible auparavant et j’en suis particulièrement fière», se réjouit-elle.
Mia Moser* a parcouru, elle, un chemin encore plus sinueux. Elle aussi souffrait d’un trouble de la peur de conduire, traitée par Renate Siegenthaler. Non pas à cause de crises de panique, mais parce que, durant très longtemps, elle n’a tout simplement plus conduit. Le manque d’expérience au volant constitue l’autre source de l’amaxophobie. Alors que les crises de panique liées au stress peuvent toucher toutes les classes d’âge, tous les sexes et toutes les professions, la peur de conduire par manque de pratique se limite majoritairement aux femmes. Elles sont en effet nettement plus nombreuses que les hommes à ne pas oser conduire seules après avoir obtenu leur permis,
ce qui les priverait de l’acquisition d’une routine et d’une sécurité de conduite. Et comme dans les couples, c’est souvent l’homme qui s’approprie le rôle du chauffeur, la femme n’a plus qu’à s’asseoir passivement à ses côtés. Un réalité socioculturelle qui peut devenir un problème à un moment donné.
Dans le cas de Mia, cela a duré près de deux décennies. Bien qu’elle ait obtenu son permis de conduire à l’âge de 20 ans, elle n’a que très peu pratiqué. D’une part, son père ne lui confiait pas la voiture familiale et, d’autre part, habitant en ville, elle pouvait se rendre partout en transports publics. Ce n’est que lorsqu’elle a eu des enfants et qu’elle a déménagé à la campagne que cette doctoresse s’est rendu compte du côté très pratique de la voiture. Et lorsqu’elle a été confrontée à un changement de travail impliquant un service de piquet, elle a commencé sérieusement à se poser des questions. Comment se rendre le plus rapidement possible à l’hôpital? En taxi? En bus? Elle réalise alors que ses nouvelles conditions de vie ne font qu’accentuer sa peur de prendre le volant. «Je craignais les situations difficiles et stressantes dans le trafic et je m’imaginais tout ce qui pourrait m’arriver. Conduire seule, en particulier, m’inquiétait beaucoup.» Malgré tout, elle souhaite empoigner le problème. Elle prend quelques leçons de conduite, mais ces dernières ne donnent pas les résultats escomptés. Le mal est plus profond et nécessite bien plus qu’une simple piqûre de rappel.
Mia se rend compte qu’elle n’y arrivera pas toute seule et s’adresse donc à cette même experte en peur de la conduite. S’ensuit un premier rendez-vous dans la voiture de Renate Siegenthaler. Après une discussion sur ses angoisses, le contexte et les facteurs déclencheurs, elle prend le volant. «Au cours de l’heure suivante – et c’est là que réside la principale différence avec les leçons de conduite habituelles – nous sommes passées dans ma propre voiture», explique-t-elle, en soulignant l’appréciable présence de sa monitrice, calme et positive. «Au début, nous ne roulions que dans des zones limitées à 30 km/h. D’abord avec l’experte comme passagère, puis, très vite, toute seule, afin de faire mes gammes.» Elles avancent pas à pas, jusqu’à ce que Mia arpente enfin de «vraies» routes. Alors que son changement de poste approchait à grands pas, elle se met à parcourir le chemin qui la sépare de son nouveau lieu de travail. Lors de la dernière séance, la thérapeute suit sa patiente avec sa propre voiture, toujours connectée via un kit mains libres. «A chaque fois que je croyais faire quelque chose de faux, elle-même constatait que je conduisais tout à fait normalement. Mes doutes n’étaient pas fondés. Ce fut le déclic», explique-t-elle. En l’espace de quelques mois, Mia parvient à se débarrasser de sa peur et conduit depuis tous les jours pour se rendre à son travail, faire des courses ou aller chercher ses enfants. La seule chose qu’elle craint encore un peu, c’est le rythme effréné de la circulation urbaine.
Comme pour Carmen Fidalgo, le fait d’avoir une passagère compréhensive qui ne lui impose pas sa façon de conduire – et qui accepte la sienne – a été déterminant pour Mia Moser. Et beaucoup pourraient s’en inspirer. En effet, un passager qui critique constamment et considère sa propre façon de conduire comme la seule imaginable accentue l’insécurité et une certaine honte chez ces personnes que la peur du volant a rendues plus vulnérables. Il n’y a pourtant aucune honte à avoir. Les personnes qui ont le courage d’admettre leurs propres angoisses et qui essaient de les surmonter de leur propre initiative ont non seulement de grandes chances de réussir, mais en sortent souvent renforcées. Il est donc temps de briser ce tabou. Ou, pour reprendre les mots du poète libanais Khalil Gibran: «Le courageux n’est pas celui qui ne connaît pas la peur, mais celui qui la connaît et la surmonte.» •
* Nom d’emprunt
Texte: Dominic Graf
Photos: Fabian Hugo
«Tout le monde peut surmonter sa peur»
Renate Siegenthaler, psychologue et monitrice d’auto-école, a fondé fahrangst.ch en 2007.
Comment définiriez-vous la peur de prendre le volant?
En psychologie, on parle de trouble anxieux lorsqu’une personne souffre de la peur au point de ne plus pouvoir vivre normalement au quotidien. Dans le cas du trouble de l’anxiété au volant, la personne évite de conduire, au prix de grandes restrictions. La peur se manifeste physiquement, par exemple par des sueurs ou des difficultés respiratoires. Ou cognitive, sous la forme de craintes de ce qui pourrait arriver. Souvent, les symptômes apparaissent ensemble.
Comment ce trouble se développe-t-il?
Je constate principalement deux déclencheurs: les crises de panique ou le manque d’expérience de la conduite, combi
né à la peur de l’échec. La première est une réaction soudaine de stress physique, liée à une surcharge générale. Si elle se produit au volant, elle peut déclencher la peur que cela se reproduise, avec des conséquences désastreuses. Dans le cas du manque de pratique, les personnes concernées sont celles qui n’ont pas conduit depuis longtemps. Généralement, malgré leur permis de conduire, elles doutent de leurs compétences au volant et n’ont pas confiance en elles.
Cette peur peut-elle traitée?
Tout le monde peut surmonter la peur mais c’est souvent un long processus. Mon rôle consiste à faire preuve de patience et d’assurance et à ce que ces personnes acceptent leur propre style de conduite. En cas de manque d’expérience, ce sont souvent des situations spécifiques, tels le parcage ou le changement de voie, qui doivent être abordées. Et c’est là qu’un moniteur d’auto-école est nécessaire.
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