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12.11.2022

Entre blues et mémoire collective

L'héritage musical de l’Alabama, du Mississippi et du Tennessee est riche et leurs villes ont été au cœur du mouvement des droits civiques.
12 novembre 2022
USA
Birmingham, la plus grande cité d’Alabama, et ses imposants bâtiments du centre-ville

Des pistes cyclables balisées en vert passent devant d’élégants bâtiments Art déco et des salles de cinéma. Birmingham, la plus grande ville de l’Alabama, a su se réinventer en redonnant du lustre à son centre-ville. Fondée en 1871, elle est rapidement devenue la Pittsburgh du Sud. Le fer et l’acier y ont apporté argent et emplois. Les Afro-Américains ne se sont pas laissé abattre par la ségrégation raciale de l’époque et ont créé leur propre ville dans la ville avec des magasins, des lieux de divertissement et des écoles secondaires. Cependant, lorsque Birmingham est devenue, dans les années 1960, un centre du mouvement des droits civiques, la «Magic City» est devenue une «Tragic City». En mai 1963, par exemple, la police a brutalement réprimé des étudiants qui manifestaient. Quelques mois plus tard, des enfants noirs sont morts dans un attentat à la bombe perpétré contre une église par le Ku Klux Klan. Aujourd’hui, les mémoriaux et les musées font partie des attractions de la ville. Elles rappellent le courage des militants du mouvement des droits civiques.

Les nombreuses églises qui jalonnent les autoroutes sur les trois heures et demie du trajet qui mènent à Jackson, la capitale du Mississippi, rappellent aux voyageurs qu’ils se trouvent dans la Bible Belt, région se réclamant d’un protestantisme rigoriste.

Hamburgers et frites à profusion

USA
Le Stamps Super Burgers, à Jackson, a été élu meilleur «Burger Place» du Mississippi pour la ­troisième fois en 2022.

Les frites grésillent dans l’huile pendant que les employés garnissent d’énormes hamburgers et étalent de croustillantes ailes de poulet sur le comptoir. Le Stamps Super Burgers a des allures de pigeonnier. L’établissement a été sacré meilleur restaurant de hamburgers pour la troisième fois en 2022. Si vous ne le connaissez pas, vous ne vous rendrez probablement jamais dans ce modeste quartier résidentiel. Phil Stamps Junior raconte que ses grands-parents l’ont fondé en 1970. Ce jeune homme a des projets plein la tête et ne souhaite pas uniquement perpétuer leur héritage.

Jackson est une ville aux multiples facettes, avec son quartier du gouvernement, de belles zones résidentielles, beaucoup de musique live dans les bistrots et une histoire bien chargée. C’est au Brent’s Drugs, un restaurant ouvert en 1946, qu’ont été tournés en 2011 certains passages du film hollywoodien «La couleur des sentiments». Un autre établissement, le Woolworth, a fait la une des journaux en 1963, lorsque des étudiants d’un collège noir se sont assis au comptoir réservé aux Blancs, afin de protester pacifiquement contre la ségrégation. Les autres clients, blancs, ont alors vu rouge. Les trois étudiants ont été aspergés de ketchup, menacés, et traînés à travers le restaurant. Le même sort a été réservé aux militants blancs qui les ont soutenus. A posteriori, l’incident et le courage des manifestants ont contribué à briser la ségrégation raciale dans le Mississippi. L’Etat a ensuite joué un rôle progressiste dans le Sud et a commencé à employer des Noirs dans la police.

La musique et son histoire

USA
Le Dunleith Historic Inn, à Natchez. Cette petite ville du Mississippi est réputée pour ses nombreuses villas historiques.

A deux heures et demie de là, la ville de Natchez offre une belle vue sur le Mississippi. Avant la guerre civile, elle constituait le centre politique et économique de l’Etat. Aujourd’hui, les imposantes villas historiques attirent les touristes. Mais Natchez est aussi située sur la Blues Highway. C’est ainsi que l’on appelle le tronçon de la Route 61 qui traverse le delta du Mississippi jusqu’au Tennessee. Autrefois, de nombreux ­musiciens de blues, occupés dans les champs de coton, l’empruntaient pour se rendre jusqu’aux scènes de Memphis. C’est d’ailleurs dans les champs de coton du delta que le blues serait né, à travers les complaintes rythmées des travailleurs.

Trois heures de route plus au nord, à Indianola, les fans de B. B. King se rendent régulièrement sur sa tombe, dans le musée qui lui est consacré. Dès l’âge de 12 ans, Riley B. King a dû travailler dur dans les fermes pour survivre, avant de devenir animateur radio et finalement la star que l’on connaît. A 35 minutes de là, à Cleveland, le Musée des Grammy Awards met en valeur les lauréats du célèbre prix, souvent originaires du Mississippi. Alors que l’air conditionné y est agréable, le soleil du sud brûle impitoyablement la peau lors de la visite des Dockery Farms. Ce qui ressemble à première vue à de vieilles cabanes en bois est vénéré par les amateurs de musique comme le berceau du blues. C’est dans cette plantation autrefois immense que travaillait en 1905 Charley Patton, qui devint un pionnier du blues et influença des légendes telles Howlin’ Wolf ou Bukka White.

Clarksdale, le berceau du blues

USA
Au Red’s Lounge de Clarksdale, les musiciens jouent au milieu des clients.

Si Dockery Farms a certainement vu naître le blues, la charmante ville de Clarksdale, à 40 minutes de là, en est le berceau. Autrefois carrefour routier, de nombreux musiciens du Delta y transitaient. Vers 1920, elle était déjà considérée comme la capitale du blues. De prestigieux noms, tels John Lee Hooker, Muddy Waters, mais aussi Sam Cooke et Ike Turner, sont originaires de cette ville. Morgan Freeman, lui, est certes natif de Memphis, mais il gère le Ground Zero Blues Club. Une scène sur laquelle se produit parfois Kingfish, une grande star du blues et originaire de Clarksdale. Au Red’s, les musiciens jouent au milieu des clients. Et tout le monde se retrouve chez Ramon’s pour déguster des Fried Foods. Par ailleurs, deux musées consacrés au blues valent le détour: le Blues Museum de Clarksdale et, à 40 minutes de là, le Gateway to the Blues Museum. Memphis n’est plus très loin, mais son histoire à elle est fort différente.

Avant de vous rendre à Nashville, un petit détour par Muscle Shoals, dans l’Alabama, s’impose. C’est ici, dans les studios d’enregistrement Fame, qu’une partie de l’histoire de la musique s’est écrite à partir de 1961. Wilson Pickett et Aretha Franklin y sont venus enregistrer, puis, plus tard, Alicia Keys, ainsi que de nombreuses stars de la musique country. Parcourir ces studios vous donne la chair de poule. On y retrouve le piano Yamaha sur lequel Little Richard jouait, ou encore des notes manuscrites d’Aretha Franklin. Tonya S. Holly, une cousine d’Elvis, dirige, elle, les Cypress Moon Studios à Muscle Shoals, dont l’histoire est également passionnante. La couleur de peau n’y jouait aucun rôle, seul le talent comptait.

Nashville, l’Eldorado musical

USA
Broadway et son ambiance joyeuse et colorée est un immanquable à Nashville.

Un faux Elvis déambule dans la rue dans son costume de scène blanc, salue amicalement, puis tourne au coin de la rue. A Nashville, ces personnages ne sont pas rares et le King est encore très présent. Si vous le souhaitez, vous pouvez également séjourner dans une suite du très chic hôtel Graduate, inspirée du style pimpant de Dolly Parton. Dans cette ville, tout tourne autour de la musique, et en particulier de la musique country. Beaucoup de musiciens vivent ici et les stars aiment se retrouver dans le vaste et très huppé quartier de Belle Mead.
Là, contrairement à Los Angeles, la vue sur les somptueuses demeures n’est pas masquée par des murs ou des haies. A Nashville, la musique peut se vivre durant toute la journée. En commençant, dès le matin, par une visite au Country Music Hall of Fame, avec son magnifique musée rempli de costumes, de guitares et de vieux enregistrements en noir et blanc. Ensuite, les passionnés de musique pourront se dégourdir les jambes à Music Row, un quartier dédié à la musique, qui abrite tous les grands studios. L’après-midi venu, vous pourrez faire un long détour par le magnifique National Museum of African American Music, qui a ouvert ses portes en 2021. Sans oublier le Musicians Hall of Fame, un endroit très particulier pour les connaisseurs. Son fondateur Joe Chambers, ancien auteur-compositeur, a dédié ce musée aux musiciens de studio qui ont joué avec des grands noms tels Elvis, les Rolling Stones ou U2. Jimi Hendrix y possède sa petite section séparée. Les fans de country pourront commencer la soirée par un spectacle au Grand Ole Opry, un peu à l’extérieur de Nashville, à condition d’avoir réservé à l’avance. Et la terminer dans l’ambiance joyeuse et colorée de Broadway et ses ­innombrables «Honky Tonks».

Memphis, le «diamant brut»

USA
Elvis voyait les choses en grand et sa propriété de Graceland est encore très visitée.

Graceland vaut-il le détour? Oui, assurément, car l’ancienne propriété d’Elvis mérite qu’on s’y attarde, même pour les non-initiés. Ne serait-ce que pour admirer sa considérable collection de voitures ou le Convair 880 qu’il a fait transformer de manière très luxueuse en un jet privé utilisé pour ses tournées. Les amateurs de design se délecteront de la décoration intérieure de la villa, qui n’a pas changé depuis sa mort, en 1977. Mais Memphis est bien plus qu’un simple mémorial dédié au chanteur. C’est avant tout une ville vibrante sur le Mississippi, relativement peu onéreuse et où il fait bon vivre. Ses habitants apprécient l’ouverture d’esprit qui règne ici ainsi que son dynamisme. Certains qualifient Memphis de «diamant brut». Ces dernières années, la ville s’est considérablement développée et de nouveaux hôtels ont été construits. Outre le National Civil Rights Museum, l’histoire de la musique est le principal attrait de la seconde ville du Tennessee. Une visite du studio Sun, où l’on enregistre à nouveau, ne se refuse pas. C’est ici qu’Elvis a été découvert en 1953 par Marion Keisker, la collaboratrice du directeur du studio, Sam Phillips. Au début, ce dernier n’était d’ailleurs pas du tout séduit par le jeune homme à la banane brune. Memphis abrite le Blues Hall of Fame et le musée de Stax Records, qui était, avec Motown, la référence en matière de musique soul des années 1960 et 1970. Les visiter en vaut la peine afin d’en savoir un peu plus sur l’histoire des fondateurs du studio, Jim Stewart et Estelle Axton (STAX), ainsi que sur leurs artistes comme Otis Redding, Booker T. ou Rufus & Carla Thomas.


Ce reportage a pu être réalisé grâce à l’invi­tation des Etats et des villes des Etats-Unis dont il est fait mention dans le texte.

Texte: Juliane Lutz
Photos: Raphael Tenschert

S’y rendre

Vol:
Par exemple avec United Airlines de Zurich à Birmingham via Chicago.

Dormir:
The Tutwiler Hotel, Birmingham, vénérable maison dans le centre-ville.
Fairview Inn, Jackson, un rêve!
Dunleith Historic Inn, Natchez, un manoir à l’histoire riche.
Clark House Inn, Clarksdale, un BnB.
The Peabody, Memphis, une institution dans le centre-ville.
Bento Living Chestnut Hill, Nashville, moderne, au chic minimaliste.

Manger:
Demetri’s Barbecue, Birmingham, petit déjeuner copieux.
Chez Fonfon, Birmingham, cuisine raffinée d’inspiration française.
Brent‘s Drugs, Jackson, restaurant et glacier des années 1940.
Four Way Restaurant, Memphis, célèbre pour sa «Soul Food», M.L. King y a mangé.
The Loveless Cafe Nashville, la meilleure adresse pour la Southern Food.

Prestataire: 
Maya Hagenbucher est spécialiste des Etats du Sud, mti.ch

birminghamal.org
visitmississippi.org
memphistravel.com
visitmusiccity.com
colbertcountytourism.org

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