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06.10.2022

Raphael Hörler

«Une perte du niveau de confort intervient après quinze minutes de trajet»
06 octobre 2022

Raphael Hörler, chercheur en mobilité, ­s’intéresse aux déplacements pendulaires ­intelligents. Il nous explique en quoi cela consiste et comment y parvenir.

Quel est votre trajet quotidien, quel moyen de transport utilisez-vous?
Raphael Hörler: La plupart du temps, je me déplace à pied car je n’habite qu’à quelques minutes de mon lieu de travail. C’est très pratique, je n’ai même pas besoin d’un vélo.

Les pendulaires suisses font en moyenne des trajets quotidiens de trente minutes. Je suppose que les vôtres ont parfois été plus longs?
Oui, par le passé, mes trajets duraient une trentaine de minutes, voire jusqu’à deux heures. Aujourd’hui, la distance est presque trop courte, mais je ne suis pas tributaire des transports publics. Je pars du principe qu’une perte du niveau de confort de notre quotidien intervient à partir de quinze minutes par trajet.

Vous faites des recherches sur la mobilité et les déplacements domicile-travail. Les considérez-vous différemment en tant que chercheur qu’en tant que travailleur?
Je ne pense pas. Les valeurs que nous souhaitons transmettre et les recherches que nous menons correspondent à mon attitude personnelle.

Quelles sont ces valeurs?
Avant tout l’objectif climatique de zéro émission d’ici à 2050. Nous voulons rendre la mobilité durable et promouvoir ainsi des villes et des régions plus agréables à vivre. Je pense toutefois que la recherche se concentre un peu trop sur les villes. Bien sûr, la densité de la population y est plus importante et la transformation est déjà en cours, ce qui est passionnant. Mais aujourd’hui, dans les villes, ce sont surtout les pendulaires en voiture qui posent problème. Je pense donc qu’il est très important d’observer comment les gens se déplacent à la campagne et dans les agglomérations.

Vous faites notamment des recherches sur le «smart commuting», en d’autres termes sur les déplacements pendulaires intelligents. Qu’est-ce que cela signifie exactement?
En résumé, il s’agit de déplacements pendulaires durables. Il repose sur le principe selon lequel on tente d’abord d’éviter les déplacements pendulaires, puis de les transférer et enfin de les améliorer. Le télétravail joue un rôle important car il permet de réduire les pics de déplacements du matin et du soir. Concernant le transfert, la multimodalité, qui combine différents services de mobilité, est importante et doit être davantage encouragée, par exemple via le service de mobilité MaaS. De bonnes approches existent, mais elles ne fonctionnent pas encore sur l’ensemble du territoire. Enfin, si l’offre de transports publics fait défaut dans certaines régions et que le MaaS n’est pas encore opérationnel, il est important de miser sur de petites voitures électriques ou des bus à la demande qui seront intégrés ultérieurement dans le MaaS.

«Nous voulons rendre la mobilité durable et promouvoir ainsi des villes et des régions plus agréables à vivre.»

Raphael Hörler
Raphael Hörler. Le chercheur en mobilité est convaincu qu’à l’avenir, nos trajets pendulaires seront plus durables.

Qu’entend-on par MaaS?
MaaS signifie «Mobility as a Service». Les offres de mobilité les plus diverses sont intégrées dans une application et peuvent être combinées à volonté, y compris la billetterie et le calcul d’itinéraires. C’est ce que l’on connaît aujourd’hui avec l’application des CFF, à ceci près que l’on peut également louer une voiture, trouver des offres de covoiturage ou d’autopartage, ainsi que des taxis ou des scooters. Un abonnement mensuel intégrera différentes formules de services adaptées à chaque utilisateur. Il est toutefois important qu’il soit conçu pour les transports publics et qu’il puisse les rendre plus efficaces. En tant qu’utilisateur, il suffit d’indiquer le trajet souhaité et des itinéraires sont proposés, du plus rapide au plus économique, en passant par le plus durable. Les voitures seront également intégrées car la recherche a démontré que, parfois, une voiture s’avère nécessaire. Dans l’idéal en la partageant, ou en la possédant, mais dans des régions reculées.

Vous pensez vraiment que les Suisses sont prêts à renoncer à leur voiture?
Oui, on le constate déjà dans les villes, car il n’est guère amusant de se rendre en ville en voiture. Et dans les régions rurales, là où les transports publics ne suffisent pas, la voiture peut être maintenue, à la condition de commuter vers un véhicule électrique. Même si, là aussi, certains trajets peuvent être effectués via le MaaS. Changer les habitudes prend du temps, mais une première étape serait de passer à une petite voiture électrique.

Le smart commuting et le MaaS seront donc à l’avenir surtout présents dans les villes et moins dans les campagnes?
Il existe déjà quelques projets ainsi que des offres. Ce n’est pas encore le MaaS tel qu’on l’imagine et il n’est pas encore généralisé. Mais il est évident que dans les zones rurales, cette alternative ne pourra couvrir tous les besoins dans un avenir proche. Dans ces régions, je vois plutôt des services à la demande, comme Mybuxi, où l’on peut par exemple commander un bus. Un tel service, basé sur la demande, permet également de réduire les coûts.

Considérez-vous le MaaS comme un service public ou comme un service privé?
Ce service fonctionnera là où il y a une forte demande, donc plutôt dans les villes. Mais il y a définitivement matière à discussion pour savoir s’il s’agit là d’une tâche publique ou non. En principe, je pense qu’il sera difficile pour le MaaS d’atteindre les chiffres noirs dans les zones rurales. J’estime que cela devrait être considéré comme un service public, de même que les offres à la demande en milieu rural, car elles devraient également renforcer les transports publics. Dans un premier temps, cela ne fonctionnera pas sans le soutien de l’Etat, du moins à la campagne.

Dans le cadre d’une étude internationale sur le smart commuting, vous avez interrogé des pendulaires de la région bâloise. Qu’est-ce qui en est ressorti?
L’objectif de cette étude était de découvrir comment les pendulaires passaient de la voiture aux transports publics. Pour nombre d’entre eux, le principal problème résidait dans le fait que le train qui les emmène en ville ne s’arrêtait pas
devant leur porte. Il fallait d’abord se rendre vers une gare, souvent en plusieurs étapes. C’est là que la voiture présente des avantages indéniables, à l’exception des embouteillages. Mais de nombreux automobilistes ne les considèrent pas comme un problème. En plus de l’accessibilité des gares, ils ne savent pas si les transports publics seront à l’heure.

«Changer les habitudes prend du temps, mais une première étape pragmatique serait de passer à une petite voiture électrique.»

Raphael Hörler

Et comment pourrait-on motiver le pendulaire à troquer la commodité et le confort d’une voiture contre les transports publics?
Nous avons surtout essayé de savoir ce qu’il en était de l’acceptation de l’autopartage, du covoiturage et du MaaS...

… des termes difficiles à comprendre.
C’est justement là que le bât blesse. Ces termes ne sont pas encore entrés dans les mœurs, la plupart des gens ne savent pas encore les utiliser. Ils n’étaient donc pas très prêts à s’y lancer. Mais nous avons également interrogé des entreprises et différents acteurs de
la mobilité. Nous avons alors constaté un très grand intérêt. Un fossé existe donc entre les pendulaires et les autres acteurs de la mobilité.

La recherche se place donc plutôt du point de vue des villes et des responsables de l’aménagement du territoire que de celui des pendulaires, car la majorité d’entre eux se déplace toujours en voiture?
Au niveau de la durabilité, nous nous plaçons du point de vue des pendulaires, car les trajets durables permettent de créer des villes et des régions plus agréables à vivre. Le problème est que nombre de ceux-ci ne se rendent pas compte des coûts réels de la voiture et ne réalisent qu’avec du recul qu’il est possible de faire autrement.

Ont-ils vraiment la volonté de changer?
Nous ressentons cette volonté chez les jeunes. Nos études montrent qu’ils sont beaucoup plus ouverts aux nouveaux concepts de mobilité. Cela s’explique aussi souvent par le fait que les gens ne veulent pas rompre avec leurs habitudes de déplacement. Enfin, si l’on ne connaît pas d’alternatives pratiques, on ne les utilise pas.

Quand ces alternatives seront-elles utilisables?
Elles existent déjà, mais pas encore à l’échelle nationale. Mais il existe des projets pilotes passionnants dans différentes régions. Le seuil d’utilisation est encore très élevé parce que ces offres ne sont pas très connues. Ce que je considère comme la première grande étape, c’est le passage à la voiture électrique. Cela va se faire très rapidement, et il s’agit déjà d’un bon premier pas.

Mais ce n’est pas encore la solution en soi?
Non, mais en combinaison avec le télétravail, ce sont des pas importants. Sans oublier le MaaS.

Mais pour les pendulaires se déplaçant d’une ville à l’autre, il y aura donc peu de changements dans les années à venir. Il n’auront
que le choix entre les transports publics et la voiture?

Pour les trajets interurbains classiques, nous avons effectivement constaté que la demande liée au MaaS est très faible. Pour ces trajets, il existe en effet des lignes de train bien établies, il n’y a pas besoin de plus.

La transition écologique des déplacements domicile-travail sera-t-elle volontaire ou ne fonctionnera-t-elle qu’avec un pilotage étatique, accompagné de sanctions?
Nous pensons clairement qu’un pilotage est nécessaire, mais avec un système de remboursement. Aujourd’hui, la voiture s’impose comme la solution la plus pratique. Et celle-ci a également beaucoup contribué à la prospérité de notre économie et à une forte croissance. Mais dans les années 1980 déjà, ce ne fut plus le cas. Il existe aujourd’hui des alternatives plus durables qui peuvent également favoriser la croissance. Mais cela n’a pas encore été totalement intégré dans la politique et l’urbanisme, où l’on mise encore beaucoup sur la voiture, ce qui fait toujours d’elle le moyen de transport le plus confortable. Pour changer cela, il faut un pilotage. Miser sur le volontariat ne suffira pas à créer un système intelligent et durable dans un avenir proche.

Raphael Hörler
A l’horizon 2050, les plateformes de mobilité auront gagné en importance.

Nous parlons donc d’une révolution de la mobilité par le haut et non par le bas?
Elle viendra certainement de toutes parts. Dans le cas de l’électromobilité, par exemple, nous voyons que le changement vient aussi d’en bas. Mais pour l’abandon de la voiture, il faudra sans doute une pression d’en haut.

Vous voulez vraiment d’une société dans laquelle l’Etat dicte ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas?
Non. C’est précisément pour cela qu’il faut promouvoir les alternatives, ainsi que des taxes sur le CO₂ et éventuellement des taxes kilométriques avec remboursement, afin de récompenser les personnes dont l’empreinte CO₂ est faible. N’oublions pas que nous avons un objectif de zéro émission d’ici à 2050. La pression politique sera donc plus forte à l’avenir, comme nous le constatons par exemple dans le débat sur le stationnement dans les villes. Nous voyons également que le prix de l’essence exerce une pression économique et que de plus en plus de personnes envisagent d’acheter une voiture électrique.

«La pression liée au changement va augmenter à l’avenir.»

Dans le cas de l’électromobilité, il est vrai qu’il devient plus pratique et moins cher de passer à une voiture électrique. Le smart commuting n’en tient cependant pas compte.
Pour le moment, la voiture est effectivement la plus pratique. En ce qui concerne les coûts, la situation est différente. Posséder une voiture coûte cher. Et si vous renoncez à votre propre voiture, vous pouvez économiser jusqu’à 4000 fr. par an. Et à l’avenir, le manque de confort lié à la renonciation pourra être compensé, par exemple, par le fait que la voiture partagée sera disponible au pied de votre maison.

Quels sont les obstacles que le smart commuting doit encore surmonter?
La spontanéité et la liberté que permet aujourd’hui une voiture doivent être intégrées dans le MaaS. Grâce à un tel service, on a le choix de toute une palette de services de mobilité en fonction de l’utilisation. Mais il faut d’abord des offres vraiment abouties et généralisées, et le mode de vie qui va avec viendra. La pression pour le changement va augmenter à l’avenir.

Comment ferons-nous la navette en 2050?
Je pense que ce ne sera pas si différent d’aujourd’hui. Dans les villes et les centres, il y aura probablement de véritables plaques tournantes de la mobilité, où les différentes formes de mobilité se rencontreront et où les gens pourront changer de mode de transport. Les transports publics seront probablement développés de manière encore plus efficace, et je suis sûr que nous aurons une offre de MaaS attractive et flexible qui fonctionnera vraiment. La structure de base des déplacements entre les villes ne changera guère. Le train restera le moyen de transport dominant. Toutefois, le travail et les loisirs seront de nouveau proposés à un niveau plus local, favorisant le développement des villes situées à quinze minutes d’un grand centre urbain et réduisant ainsi les distances de déplacement.

Interview: Dino Nodari
Photos: Emanuel Freudiger

Raphael Hörler

Raphael Hörler

Raphael Hörler a obtenu un master en sciences de l’environnement à l’EPFZ. Depuis, il mène des recherches sur les nouveaux services de mobilité, l’électromobilité, la conduite automatisée, la gestion de la mobilité dans les entreprises et les stratégies de transformation durable de la mobilité. Il travaille à la ZHAW School of Engineering à Winterthour.

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